Magazines
Les décennies qui suivent la fin de Seconde Guerre Mondiale sont marquées par l’essor des magazines d’actualités qui, par la place capitale accordée aux photographies, redéfinissent les rapports à l’information au travers des images. Publiée pour la première fois le 23 novembre 1936 aux États-Unis, la revue Life devient rapidement une référence qui sera déclinée dans plusieurs pays : qu’il s’agisse de l’hebdomadaire britannique Picture Post, lancé en 1938, du magazine allemand Stern en 1948, ou encore de la première parution en France de Paris Match en 1949.
Le rapport de Pablo Picasso à ces revues est multiple. Il en est d’abord l’un des principaux acteurs, posant pour des photographes qui collaborent avec ces magazines (Mili, Duncan, Doisneau), dont il occupe plusieurs fois la « une ». Devenu une figure médiatique incontournable, l’artiste est aussi un lecteur qui reçoit à son domicile des revues du monde entier, entassées en piles et jonchant les meubles ou le sol de ses ateliers. À quelques reprises, celles-ci deviennent des supports de créations que l’artiste détourne en quelques coups de pinceaux ou de ciseaux1.
- Credit© Adagp, ParisMusée national Picasso Paris
- Credit© Adagp, ParisMusée national Picasso Paris
- Photographiess.d.APPH4702
- Photographiess.d.APPH726
- Photographiess.d.APPH1418
- Photographiesvers 1965?MP1996-275
Bien qu’il soit difficile d’évaluer leur impact, les magazines représentent également une inépuisable ressource d’images desquelles l’artiste peut s’inspirer. Déjà en 1937, la couverture photographique de la Guerre Civile Espagnole parue dans la presse l’avait influencé pour peindre Guernica, et l’usage du noir et blanc était destiné à diffuser l’œuvre le plus largement possible2. Au cours des années 1950, la quadrichromie s’impose progressivement dans les revues3 et les images en couleurs côtoient dorénavant celles en noir et blanc. Cette même cohabitation chromatique se retrouve dans Massacre en Corée, où Picasso représente des corps grisâtres au sein d’un paysage coloré. Les montagnes et le ruisseau en serpentin rappellent les photographies parues dans le numéro de Paris Match du 9 septembre 1950, en possession de l’artiste4. L’hebdomadaire publie alors en « priorité mondiale » des photographies couleurs du front coréen mêlés à des photographies de soldats américains en noir et blanc.
Au sein de la revue, ces représentations de guerre jouxtent des images de sports, de mode, de science, de célébrités ou encore les nombreuses publicités, produisant pour le lecteur des chocs visuels inattendus. Pourrait-on y trouver un écho dans la figuration que Picasso donne aux troupes armées de son Massacre, hybridations de chevaliers et de robots modernes ? Au cours de cette même décennie, c’est dans cette imagerie kaléidoscopique des magazines que les jeunes artistes britanniques de l’Independent Group vont aller puiser leur inspiration, posant les prémices du pop art.
- Photographiess.d.MP1998-227
- Photographies1937MP1998-217
- Credit© Succession PicassoMathieu Rabeau/Etablissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Elysées
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[1] Voir également les découpages humoristiques de pin-up conservés au Museu Picasso de Barcelone.
[2] Marc Donnadieu, « Guernica. L’actualité à l’épreuve de l’image », in Emilie Bouvard et Géraldine Mercier (dir.), Guernica, cat.exp., Paris, Musée national Picasso-Paris/Gallimard, 2018, p. 132.
[3] Jean-Pierre Bacot, « Le retard et le rattrapage de Paris Match », in Karine Taveaux-Grandpierre et Joëlle Beurier (dir.), Le photojournalisme des années 1930 à nos jours, Presses Universitaires de Rennes, 2014, p. 41.
[4] L’artiste recevait plusieurs exemplaires des magazines dans lesquels il apparaissait. Le numéro de Paris Match du 9 septembre 1950 contient également un article de plusieurs pages intitulé « Picasso, génie ou mystificateur ? ».
Ce parcours est adapté de l'article de François Dareau, « Les Ateliers de Picasso » in Picasso iconophage (Paris, Musée national Picasso-Paris, 11 juin - 15 septembre 2024), Paris, Ed. de la Réunion des musées nationaux, 2024.