Dans ce dessin à l’atmosphère irréelle, un flâneur se détache au premier plan, plongé dans une profonde mélancolie tandis que, à l’arrière, une femme à la chevelure dénouée apparaît comme dans un songe, surmontée d’un agrégat de têtes coupées au rictus cynique. La sensation de flottement qui se dégage de cette scène est renforcée par l’absence de perspective due à la superposition des plans. OEuvre aboutie et signée, ce dessin sort du registre de l’esquisse ou de l’étude académique. L’artiste manifeste son ralliement à un répertoire résolument moderne en convoquant des thèmes propres au symbolisme tels que le flâneur ou encore la femme à la longue chevelure, évocation lointaine de Mélisande ou de Mélusine. Dans une veine macabre que Picasso avait eu le loisir d’assimiler en copiant Les Caprices de Goya, les têtes coupées grimaçantes évoquent l’univers de Félicien Rops, Odilon Redon ou James Ensor [voir MP431 (r) ]. Ces analogies prouvent que l’artiste maîtrisait parfaitement les canons de cette mouvance artistique européenne qui circulait en Espagne sous forme imprimée avant qu’il ne les découvre à l’Exposition universelle de 1900 à Paris. Ce goût pour le symbolisme précipitera l’avènement de sa période bleue dès la fin de l’année 1901.