Au printemps 1939, alors que Guernica navigue vers les Etats-Unis après une tournée anglaise, Barcelone puis Madrid tombent aux mains des Franquistes. Encore quelques mois et le sort de l'Europe sera scellé. 1939 sera pour Picasso une année mouvementée entre Paris, Antibes et Royan où il se trouve quand la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l'Allemagne le 3 septembre.

Avant de quitter la capitale pour la Côte d'Azur, Picasso entreprend une séquence quasi ininterrompue de Femmes au chapeau réalisée entre le 21 mai et le 24 juin 1939. Cette nouvelle déclinaison du thème de la femme assise, initiée en 1937 avec la Femme qui pleure, radicalise l'instrumentalisation formelle de la femme comme victime expiatoire. Ces « machines à souffrir », selon les mots de Picasso rapportés par André Malraux, n'extériorisent plus leur désarroi ; à la douleur se substitue l'angoisse qui génère, de l'intérieur et dans le silence, de violentes métamorphoses corporelles.

Dora Maar a porté des chapeaux dans ses portraits passés, mais ceux dont elle est affublée en 1939 sont particulièrement extravagants. Ils apportent cependant un semblant d'équilibre et de cohérence à un personnage dont la chair est, en dessous, en révolution permanente. Dans Buste de femme au chapeau rayé, la morphologie générale s'organise autour du clivage des plans et du déplacement des organes. La rayure simule le volume, fait vibrer l'espace et restitue de manière visuelle le rythme saccadé de la pulsion interne. Jusqu'au XXe siècle, la rayure avait mauvaise presse et était réservée aux vêtements des exclus et des aliénés ; elle semble ici retrouver son caractère maléfique en se faisant peau.

Comme souvent chez Picasso, l'humanité se signale par la sensualité. Elle surgit dans une bouche pulpeuse posée au coin d'un menton en forme de poire, en plein centre géométrique du tableau. Emprunté aux collages surréalistes, cette combinaison de formes douces mais puissantes exprime l'espoir du désir. Ce dernier aura disparu dans les portraits des femmes au chapeau d'octobre 1939, dont la figure est totalement soumise à la déprédation sans que l'impassibilité de leur pose, déjà choquante dans Buste de femme au chapeau rayé, ne soit rompue.

Disproportions, inversion et permutations sont l'héritage direct des figures de Dinard et de Boisgeloup et alimentent un cycle thématique qui deviendra récurrent, voire obsessionnel, pendant les années de guerre.