Petits objets de la collection Dora Maar

Les petits objets et papiers déchirés de la collection Dora Maar vus par Brassaï

Dans le cadre d’une commande pour la publication de l’ouvrage Les Sculptures de Picasso de Daniel-Henry Kahnweiler (1948), Brassaï réalise la couverture photographique intégrale de l’œuvre sculpté de Pablo Picasso entre 1943 et 1946. Le 28 novembre 1946, il se rend à l’atelier des Grands-Augustins dans le but de de photographier les petits objets en papier à la demande de Picasso. Ce dernier, conscient du caractère éphémère de ces œuvres, désire absolument faire les photographier. Cette séance n’a finalement pas lieu : le peintre ne trouvant pas le temps de recevoir Brassaï, il l’adresse auprès de Dora Maar pour pho­tographier un buste en bronze.

Dora Maar s’impose comme une photographe professionnelle dès les années 1930 avec des clichés publicitaires (mode, nus), et des photographies artistiques affiliées au mouvement surréaliste, tel le photomontage énigmatique du 29, rue d’Astorg. Dora Maar est aussi le témoin privilégié du processus créatif de Guernica, dont elle signe, en exclusivité, les clichés des dif­férents états pour le compte de Christian Zervos. De la relation amoureuse qui lie Maar à Picasso, nait une osmose créatrice qui aboutit à la réalisation d’une œuvre à quatre mains, la série des plaques de verre peintes tirées sur papier photosensible. 

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    Mathieu Rabeau/Etablissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Elysées
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En 1946, alors qu’elle ne voit que rarement Picasso, elle ouvre son atelier à Brassaï qui y découvre une véritable collection d’objets de Picasso qu’il détaille dans Conversations avec Picasso (1964) : « […] petits oiseaux en capsules d’étain, en bois, en os ; un bout de bois transformé en merle ; un fragment d’os rongé par la mer transformé en une tête d’aigle… […] un bois calciné badigeonné en marron devenu un cigare […]. Quant aux nom­breux papiers et cartons découpés à l’aide des ciseaux ou silhouettés avec les doigts, c’est un enchantement… La plupart sont faits de serviettes en papier ou de boîtes de cigarettes… […] Parmi les bêtes […], les têtes de mort, un long gant de femme, figure aussi une extraordinaire série de chiens. »

Créées dans l’intimité, ces sculp­tures ont une histoire singulière, comme Tête de chien (le bichon blanc), dont Brassaï rapporta la genèse : « [Dora Maar] avait un bichon blanc qu’elle adorait… Or, un jour, elle le perdit… Alors, pour consoler sa maîtresse éplorée, à chaque repas, pendant plusieurs jours, Picasso ressuscita le petit chien avec ses grands yeux noirs et ses oreilles rabattues […]. »

Ce goût pour l’accumulation d’objets singuliers, Brassaï le partage avec Picasso et nourrit leur conversation au fil des prises de vues. La série des papiers déchirés montre la grande habileté du photographe à transformer un objet inanimé en une réalité nouvelle en mettant en valeur ces œuvres par un cadrage serré et en jouant avec le clair-obscur comme la série des « Tête de mort ». Cet ensemble n’est pas sans rappeler le premier reportage de Brassaï sur les plâtres de Picasso photographiés dans l’atelier de Boisgeloup en 1932, où le photographe avait joué avec l’éclairage d’une lampe à pétrole pour théâtraliser et donner corps au peuple de sculptures blanches. A l’égal de la série des Sculptures involontaires de Salvador Dalí, publiée dans la revue Minotaure en 1933 la petitesse de ces « choses ordinaires » est affranchie par le cadrage qui crée une perte d’échelle aux yeux du regardeur et souligne ainsi l’étrangeté des sculptures.

Ce parcours est issu de l'essai de Laura Couvreur "Dans l’œil de Brassaï : les « objets » de la collection Dora Maar", dans Picasso. Chefs-d’œuvre ! cat. exp. Paris, Musée national Picasso-Paris, Paris, Gallimard, 2018.