En juin 1930, Picasso achète le château de Boisgeloup, près de Gisors, dont les vastes écuries et annexes en font un atelier aux volumes propices au travail de la sculpture. Ce nouveau lieu est l'occasion pour l'artiste de s'adonner à des expériences plastiques inédites libérées des contraintes d'espace et de format. Ce nouveau souffle créateur s'incarne dans la figure de Marie-Thérèse Walter, jeune maîtresse récemment entrée dans la vie de Picasso, et dont les formes sculpturales se prêtent au jeu des métamorphoses artistiques.

Si elles prennent des formes diverses, les sculptures de Boisgeloup se rejoignent dans le traitement prédominant du volume qui confère aux œuvres une monumentalité quel que soit le format choisi. La sculpture repose sur un principe additif assemblant des membres biomorphiques par analogie à la construction d'un corps organique. Cette construction est le résultat d'une recherche architectonique qui se décline dans de nombreux dessins et gravures offrant autant de variations possibles de l'image de Marie-Thérèse. La représentation du corps aimé et désiré prend forme dans un langage sensuel et ondulant, fait de signes investis de sexualité et condensant les attributs du modèle: nez proéminent inscrit dans le prolongement du front, regard en amande, poitrine plantureuse… Par sa frontalité sereine, la Tête de femme (MP301) se dresse comme une véritable déesse de la fertilité. On sait que Picasso possédait deux copies de la Vénus de Lespugue (ivoire de mammouth, Haute-Garonne, vers 21000 av. J.-C), idole préhistorique de la fécondité dont les courbes sont autant d'évocation des attributs sexuels. L'assimilation entre les traits du visage et les organes génitaux est également courante dans l'art africain. Les trois coques en plâtre ajustées formant le visage de Marie-Thérèse rappellent les protubérances qui composent le masque Nimba que possédait Picasso (Masque Nimba, Ethnie Baga, MP3637) et qui faisait écho dans l'atelier de Boisgeloup aux bustes de Marie-Thérèse.

Tel un organisme vivant, la vie de l'œuvre est multiple. Elle se décline au gré des recherches plastiques modifiant à l'envi l'équilibre entre les parties vides et les parties pleines, en tendant parfois vers un schématisme extrême sinon abstrait, comme dans les Buste de femme (MP293) et Tête de femme (MP291), où les parties du corps s'autonomisent dans une articulation libre. Le processus de création apparaît non seulement dans la série des œuvres graphiques où se figent sur le papier les formes évolutives, mais aussi à travers une mise en scène des sculptures dans l'ambiance de l'atelier. La sculpture s'appréhende dans son contexte de création, l'atelier, qui devient le théâtre d'une mise en scène artistique. En témoignent les estampes de la « Suite Vollard » d'avril 1933 (MP1982-100 à 129). La lumière et l'éclairage jouent un rôle de révélateur de la matérialité des œuvres et de leur mutation. A l'origine, plâtres sur lesquels la lumière et l'ombre se déployaient lentement sur les surfaces blanches, ces sculptures furent fondues en bronze, le lustre du métal modifiant la perception visuelle du spectateur. La Tête de femme (MP299) fut reproduite en ciment pour être exposée dans le Pavillon de la République espagnole à l'Exposition Internationale de Paris en 1937.