Picasso poète

Après tout, les arts ne font qu’un. On peut écrire une peinture en mots tout comme on peut peindre des sensations dans un poème.
- Roland Penrose, Picasso, Paris, Flammarion, 1982, p. 488.

Entre 1935 et 1959, l’artiste produit plus de 340 poèmes. Les manuscrits sont d’une grande beauté graphique et offrent à voir les liens étroits qui existent entre l’écriture et la peinture, et mesurer combien, chez Picasso, la complexité du travail mené sur le texte (collages, répétions, variations) fait écho au processus pictural. Le contenu autobiographique des écrits évoque aussi le contexte historique et révèle la riche personnalité de l’artiste. 

 

La propension de Picasso pour l’écriture et la littérature remonte à l’enfance. Dans ses premiers carnets de dessins, l’artiste consigne son amour pour des écrivains comme Alfred de Vigny et Joan Maragall. Aux alentours de 1912, mots et lettres entrent dans ses compositions cubistes à la fois comme des « textures optiques », pour reprendre la formule de Michel Butor, mais aussi pour leur sens pluriel. Le fragment syllabique « jou » pourrait alors signifier « journal », « jour » ou encore « jouer ». La dimension calligraphique de l’écriture poétique s’annonce déjà dans des expérimentations entre le visible et le lisible : dans « Il neige au soleil » (10 janvier 1934), l’artiste fait varier une même phrase sur des feuilles de papier d’Arches, déployant l’écriture linéaire pour la transformer en figure.

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    Sylvie Chan-Liat/Etablissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Elysées
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Poètes et écrivains ont accompagné Picasso tout au long de sa vie, depuis les Espagnols qu’il admirait, Miguel de Cervantes Saavedra, Luis de Góngora y Argote ou Joan Maragall, jusqu’aux auteurs français qu’il découvrait dans leur langue originale : Blaise Pascal, Alfred Jarry ou Stéphane Mallarmé. Ami intime de Guillaume Apollinaire et de Max Jacob, mais aussi d’André Breton et de Paul Éluard, l’artiste a souvent illustré les recueils de ces poètes. Sans être véritablement collectionneur, il possédait certains manuscrits, dont L’Immaculée Conception (1930) de Breton et Éluard ou « Le Mousse de la Pirrouïte » (1906-1907) de Jarry. Lui-même directeur artistique de la revue littéraire Arte Joven, qu’il crée avec Franciso de Asís Soler en 1901, Picasso a mis son œuvre sous le signe de la poésie. « Au fond, disait-il à Penrose, les arts ne font qu’un. » 

Picasso se met véritablement à composer des poèmes en 1935. S’il écrit son premier long poème du 18 avril 1935 dans sa langue maternelle, il ne cessera ensuite de passer du français à l’espagnol et vice versa. Dans ses écrits, il investit différents supports : petits carnets, papier à dessin d’Arches, feuilles volantes, enveloppes, et même papier hygiénique. De son laboratoire d’écriture naissent des textes d’une grande variété : poèmes-fleuves ou poèmes en boucle, séries et variations, poèmes en rimes et en strophes ou encore poèmes rhizomatiques, qui prolifèrent au fur et à mesure des ajouts. Le poème labyrinthique Lengua de fuego écrit entre le 24 novembre et le 24 décembre 1935, esquissé d’abord dans un petit carnet bleu, se déploie en dix-huit états successifs. Publié dans Cahiers d’art en 1936, il accompagne l’article d’André Breton « Picasso poète », qui le consacre comme un écrivain à part entière.

 

Entre avril et mai 1936, lors d’un séjour à Juan-les-Pins, Picasso réalise presque chaque jour des dessins accompagnés de manuscrits sur des feuilles de papier d’Arches pliées en deux. Ces dessins-poèmes donnent naissance à des tableaux (Portrait de jeune fille, 3 avril 1936, Femme au buffet, 9 avril 1936, Dormeuse aux persiennes, 25 avril 1936, Le Chapeau de paille au feuillage bleu, 1er mai 1936). L’artiste multiplie les études de têtes de sa compagne Marie-Thérèse Walter, opposant sur la même feuille un profil réaliste et la réduction schématique d’une tête en fil de fer. Parfois, c’est le tableau qui donne naissance à un texte. Femme à la montre, du 30 avril 1936, est ainsi décrit dans le poème du 6 octobre 1936. Images et mots sont toujours étroitement liés, comme en témoigne Le Crayon qui parle, un dessin du 11 mars 1936

 

Les thèmes principaux de ses textes sont les mêmes que ceux de sa peinture : l’amour, l’érotisme, la tauromachie, la nourriture, la crucifixion, le sacrifice – souvent étroitement imbriqués les uns dans les autres. Picasso, en écrivant ou en dessinant, mêle la grandeur du mythe avec la trivialité du quotidien. Il se représente en Minotaure déménageant avec Marie-Thérèse et Maya à Juan-les-Pins, ou bien en faune barbu s’attendrissant devant les pleurs d’une petite fille dans son berceau. 

Ce parcours est issu du travail réalisé par Marie-Laure Bernadac, Conservatrice générale honoraire du Patrimoine, Androula Michael, Historienne de l'art, Université de Picardie Jules-Verne, et Johan Popelard, Conservateur du patrimoine au Musée national Picasso-Paris, commissaires de l'exposition « Picasso poète » présentée au Musée national Picasso-Paris du 7 novembre 2019 au 23 février 2020.