Picasso a engagé en 1926 une nouvelle mise en abyme stylistique des rapports du peintre et de son modèle dans l'espace de l'atelier. Il y réintroduit en 1928, dans Peintre à la palette et au chevalet, le thème de l'autoportrait qu'il avait délaissé depuis plus de dix ans. La présence du fauteuil inscrit cette œuvre dans l'environnement du premier sujet, tandis que les trois lignes tirées sur la nuque du personnage font irrésistiblement penser à la longue mèche de Picasso à cette époque. Les attributs traditionnels de l'artiste, palette et pinceau, confirment, si nécessaire, le genre de l'exercice.

Le corps du peintre est dessiné dans un triangle sommaire et transparent, comme un support accessoire à sa tête démesurée, véritable sujet de ce qui est en fait un portrait. Le visage se compose de deux profils noir et blanc qui s'interpénètrent et qui sont rivetés par deux yeux superposés. L'alliance de la radicalité géométrique et de l'antagonisme des couleurs suffit à exprimer la tension psychologique portée par cette tête-masque. Les déboires du couple que Picasso forme avec Olga ont manifestement empoisonné les relations du peintre et de son modèle. Un peintre qui, en dépit de ses doutes, n'a cependant pas renoncé à sa capacité de clairvoyance - voire de voyance - comme l'évoque la position sidérante des deux yeux hagards.

Cette figure ambivalente et intense s'installe dans les études conservées au Musée national Picasso - Paris (MP1026, MP1027 et MP1029) de la grande composition travaillée au fil de l'année 1928 et intitulée Le peintre et son modèle, aujourd'hui exposée au MoMA de New York. Entre l'artiste et sa muse, taillée tout aussi abruptement que son mentor, apparait un profil biomorphique qui ne laisse aucun doute sur le caractère biographique de l'œuvre et dont la source est un autoportrait photographique réalisé en 1927. C'est toutefois le désormais familier changement de paradigme formel qui, encore une fois, prime sur toute autre considération dans cette création globale qui migre en roue libre du dessin à la peinture et à la sculpture. A peu près à cette période, Picasso explique à son collaborateur et sculpteur Julio Gonzalez, à propos de ses premiers tableaux cubistes : « ces peintures, il suffirait de les découper – les couleurs n'étant somme toute que des indications de perspective différentes, des plans inclinés d'un côté ou de l'autre -, puis de les assembler selon les indications données par la couleur, pour se trouver un présence d'une sculpture. La peinture n'y manquerait point. » Ce système, appliqué à sa production récente, donne effectivement de nouveaux résultats. Trois petites sculptures peintes développent en trois dimensions, cette même année 1928, la tête bicéphale en métal découpé et assemblé supportée par un trépied, dont une a été conservée par Picasso et figure aujourd'hui dans les collections du Musée national Picasso - Paris (MP263).