« Par sa nouveauté, une statue tubulaire, très étirée, éveille mon attention. Son corps est un étroit fût – un carton gaufré a dû servir à lui imprimer ses cannelures – son cou, un rouleau émergeant d'un moule à gâteau, devenu une petite fraise tuyautée. Quant à la tête, elle est une plaque carrée, sans doute un couvercle de boîte. Le bras gauche en forme d'anse serre une sorte de vase, le bras droit, dressé verticalement, tient dans sa main une boule. Picasso l'a dénommée femme à l'orange » (propos de Brassaï rapportés par Jean Leymarie, Picasso : métamorphose et unité, 1971, Genève : Skira, p. 67).

La Femme à l'orange surprend par sa conception utilisant à la fois la technique de l'empreinte que Picasso expérimente dans son atelier de Boisgeloup et celle de l'assemblage largement développée dans l'atelier des Grands-Augustins à Paris dans lequel Picasso s'installe en 1937. Il est donc difficile de dater précisément cette œuvre de transition : empruntant à la fois aux plâtres de Boisgeloup, notamment à une Tête rectangulaire, dressée sur un cylindre ([1934]-1943) ; et aux sculptures combinant modelage et objets trouvés, telles que La femme en robe longue de 1943, née de l'assemblage d'une tête en bronze peint, d'un mannequin de tailleur et d'un bras provenant d'une sculpture de l'île de Pâques.

Le Musée national Picasso - Paris possède l'unique épreuve en bronze réalisée à partir du plâtre avant 1943. Sur la surface du bronze, se lit le travail sur la texture né de l'impression de formes dans le plâtre frais : le carton ondulé formant des cannelures sur le buste ou encore les mailles d'un grillage en fil de fer animant le bas du corps. Ce contraste de surface est renchéri par un contraste de formes, issu du moulage ou de la récupération d'objets divers. Un couvercle en forme de boîte a ainsi dû servir à modeler la tête, percée ensuite de trous pour la bouche et les yeux, forme apparue dans les années 1930 avec notamment les Masque (MP310) et Visage (MP309) de 1934. Le cou, tel un tuyau, se dresse en haut d'une collerette qui est l'empreinte d'un moule à gâteaux. L'arabesque dessinée par les bras se termine par deux accessoires : un « vase » en forme de bouillotte dans le bras droit et une boule dans la main gauche.

Ces accessoires donnent-ils à la sculpture sa signification ? La boule fut tantôt interprétée comme une orange, tantôt comme une pomme. La sinuosité des bras pourraient évoquer des branches d'arbre ou encore le mouvement d'un serpent. Ces trois éléments, arbre, serpent et pomme, ont conduit à l'interprétation de cette figure féminine comme une nouvelle Eve sortie du Jardin d'Eden.

Virginie Perdrisot, conservatrice du Patrimoine, Musée national Picasso - Paris

Avril 2014