A quelques exceptions notables - comme Guernica (1937), Le Charnier (1945) ou Massacre en Corée (1951), l'actualité politique n'est pas nommée dans la peinture de Picasso. Sa création picturale emprunte sur ces sujets des véhicules métaphoriques ou allégoriques, supports à une réflexion sur la condition humaine où le conflit et la violence sont volontiers endossés par les figures d'un bestiaire.

1939 a mal commencé ; le 26 janvier, les troupes franquistes entrent dans Barcelone, ville ouverte après la fuite du gouvernement républicain. Des centaines de milliers de réfugiés passent la frontière française en quelques semaines. Le 28 mars, Madrid assiégée tombe aux mains des forces nationalistes. Le 1er avril, la dictature franquiste s'installe et la répression commence. Simultanément, l'Allemagne occupe la Bohême et la Moravie, violant délibérément les accords de Munich et provoquant la mobilisation des troupes françaises et britanniques. Bourreaux et victimes ont pris position dans toute l'Europe.

D'ornement pittoresque - sur le menu du restaurant Els 4Gats à Barcelone en 1900 (MP416 (V)) - ou alangui - au bout du lit dans la parodie de l'Olympia de Manet en 1902 - le chat mute en créature agressive dans Chat saisissant un oiseau en 1939. Picasso avait dit à Brassai pendant l'Occupation : « j'adore les chats devenus sauvages aux poils hérissés... Ils chassent les oiseaux, vadrouillent, courent dans les rues comme des démons... Ils vous jettent des yeux farouches, prêts à vous sauter à la figure... Et avez-vous remarqué que les chattes en liberté sont toujours en état de grossesse ? » La description du félin est fidèle à la représentation que Picasso en a donnée quelques temps auparavant – jusqu'à son apparente grossesse. C'est cependant sans aucune tendresse que l'animal est ici portraituré en prédateur carnassier. La facture du tableau en aplats et contours est économe, avec une base et un fond destinés à mettre en valeur l'affrontement. Au contraste cruel du rouge et du noir de l'oiseau blessé répond celui, hypnotique, du noir et du blanc des yeux du chat, portés sur sa face comme le masque ambivalent du sorcier vaudou, et en harmonie chromatique avec des griffes irradiantes. Une variante du même mois montre un chat mieux découplé dans l'espace du tableau, avec un traitement iconographique proche du dragon à la gueule infernale. Un dessin du 22 avril, centré sur la victime, substitue une volaille à l'oiseau ; le motif sera développé sur plusieurs pages de carnet en 1953 et à travers quelques dessins de la même année mettant aux prises un chat avec un coq, accusant la portée symbolique.

Picasso déclara à Antonina Vallentin dans les années 1950 : « Je n'ai pas peint la guerre car je ne suis pas ce genre de peintres qui va, comme un photographe, à la quête d'un sujet. Mais il n'y a pas de doute que la guerre existe dans les tableaux que j'ai faits alors. »