Picasso a demandé au photographe Brassaï, devenu son ami, de réaliser un reportage complet de son œuvre sculpté. A l'automne 1943, lorsqu'il débute une seconde campagne de prises de vue, Brassaï choisit comme « pierre d'ancrage » la Tête de mort. « Ce matin je m'attaque à la première statue : la Tête de mort. Œuvre saisissante. Plutôt une monumentale tête pétrifiée aux orbites vides, au nez rongé, aux lèvres effacées qu'un squelette décharné, grimaçant. On dirait un bloc de pierre errante, creusé de cavités, corrodé et poli à force d'avoir roulé d'âge en âge… » (Brassaï, Conversations avec Picasso, Paris : Gallimard, 1964, p. 68). La Tête de mort, sculpture fondue en bronze plein, et légèrement plus grande que l'échelle humaine, est une œuvre de guerre. Symbole du charnier engendré par les combats qui s'abattent sur l'Europe, la Tête de mort agit comme un memento mori, un signal de la fragilité de la vie humaine que Picasso laisse trôner dans le passage reliant les appartements à son atelier de la rue des Grands-Augustins. Dès juin et juillet 1940, le motif de la tête de mort hante les dessins de Royan et résonne comme une réponse de Picasso à l'occupation de la ville par les troupes allemandes.

La charge symbolique dont la sculpture est investie ne saurait faire oublier son caractère éminemment sculptural. On connaît la fascination de Picasso pour les os et les squelettes et son obsession pour la charpente des corps humains. « J'ai une véritable passion pour les os… », dit Picasso à Brassaï, « J'en ai beaucoup […] à Boisgeloup : squelettes d'oiseaux, têtes de chiens, de moutons… […] Avez-vous remarqué que les os sont toujours modelés et non taillés, qu'on a toujours l'impression qu'ils sortent d'un moule après avoir été modelés dans la glaise ? » (ibid, p.92-93). C'est en terre que fut originellement modelée la Tête de mort, à la suite d'une petite série de têtes en terre cuite de 1943, composées chacune sur une opposition entre le vide et le plein, le concave et le convexe. Le contraste de volume entre une masse cylindrique creusée par deux orbites et deux cicatrices marquant la bouche et le nez renforce le réalisme saisissant de la sculpture (ces œuvres sont conservées en collection particulière et reproduites dans Werner Spies, Picasso sculpteur, Paris : Editions du Centre Pompidou, 2000, n° 212 à 216, p. 361). Brassaï comprit bien l'effet de théâtralisation qu'un éclairage dramatique pouvait faire naître sur cette œuvre iconique. Les creux captent la lumière reflétée dans les bosses sur la surface tourmentée et lustrée du bronze.

Picasso poursuivit cette expérience plastique dans d'autres domaines en peinture, en arts graphiques ou dans une série de papiers déchirés, mais c'est sans doute dans cette sculpture que s'exerce avec le plus d'intensité le pouvoir de fascination et d'empathie exercé par l'image matérielle de la mort.